mercredi 26 février 2014

Procès de Pascal Simbikangwa : 26 février après midi

"J'ai assisté à un cinéma"

Après avoir qualifié la semaine passée certains témoignages de comédie, Pascal Simbikangwa ne change pas sa ligne de défense. Il ponctue celui de Diogène Nyirishema, gardien d'une maison située à quelques encablures de son propre domicile (dans le quartier de Kiyovu) pendant le génocide, par un tonitruant et goguenard : "j'ai assisté à un cinéma ! je n'ai jamais rencontré cet homme, je ne le connais pas".

Pourtant, petit à petit, cette ligne se fracture par endroits : il reconnait avoir écouté la RTLM hier; et  aujourd'hui, y être allé, avoir beaucoup circulé pendant le génocide, et concède même avoir vu trois barrières de miliciens.

Il faut dire que la journée a été épouvante pour l'ancien capitaine. 

Les deux temoins de l'après midi,  décrivent sur plan son quartier cerné de barrières, dont une, en face de son domicile.
Si Salomon Habiyakare, lui aussi gardien dans le même pâté de maison, est aussi formel que Diogène Nyirishema, c'est que l'un et l'autre ont tenu une de celles-ci.
Plus ou moins contraints, plus ou moins innocemment, mais tous deux l'affirment : ils ont été témoins de meurtres et ont vu des cadavres, partout autour d'eux.
Ils attestent aussi avoir vu Pascal Simbikangwa fournir au moins un fusil à Jonathan Rekeraho, responsable de la barrière près de la maison de son voisin Abderamane Sadala, .

"Je l'ai fait par devoir et parce qu'il y avait des réfugiés chez lui, pour sa sécurité, on l'avait oublié !" s'est défendu l'ex-capitaine. 80 réfugiés, précise-t-il. 
"80 personnes chez Abderamane Sadala ? C'est un mensonge !" tonne Diogène Nyirishema à l'adresse de Me Philippart (CPCR).

Comme la veille, Me Epstein s'emploie à attaquer le témoin sur des détails, sans pour autant le déstabiliser. Avec beaucoup de malignité, il lance alors à la salle "on va passer à la question des barrières, c'est un sujet que vous maîtrisez mieux".



"C'est insupportable ! "

Il est  un peu plus de 15h30. Me Epstein s'approche de la barre, de plus en plus près de Diogène Nyirishema. Il lui assène question sur question pour tenter de confondre les contradictions de ses précédentes déclarations. Le témoin s'agite, s'embrouille.
L'avocat de la défense, toujours plus pressant, pose même alors la main sur la barre. Diogène Nyirishema s'essuie le visage frénétiquement avec son mouchoir, perd ses moyens. Les esprits s'échauffent comme la salle remue et Me Bruno Sturlese explose : " c'est insupportable ! "

Incident de séance. 
Le président Olivier Leurent intervient pour le clore. Me Epstein, lui tourne le dos, tout sourire face à la salle.
Il revient sur le fond et questionne le témoin sur la nature du fusil donné par Pascal Simbikangwa. Enfin, pour conclure, il cherche à savoir si le témoin ne dissimule pas d'autres intentions : serait-il un coupable qui minimise son rôle, se considérerait-il au contraire comme victime ?
 Diogène Nyirishema lui répond d'une phrase "Je ne suis coupable de rien et ne vois pas en quoi je serais une victime".

Diogène Nyirishema a aussi certifié que Pascal Simbikangwa ravitaillait très fréquemment les barrières en vivres et en armes
Salomon Habiyakare, lui, n'a vu Pascal Simbikangwa sur une barrière que lors de la livraison du fusil à Jonathan Rekeraho. Mais il confesse avoir surtout gardé la sienne de nuit, en lieu et place de ce dernier. 

Il est 21 heures ce mercredi soir, et Me Bourgeaud avoue à la cour sa fatigue, comme celle de son client "qui s'endort". Le président Olivier Leurent reconnait qu'il est tard, que l'ambulance de Pascal Simbikangwa l'attend et suspend l'audience.

Elle reprendra demain avec l'audition de... Jonathan Rekeraho.











mardi 25 février 2014

Procès Simbikangwa : 25 février après-midi


"Extrême extrémisme"

La liaison avec Kigali est mauvaise, mais Valérie Bemeriki, en tenue rose de détenue, vient s'asseoir dans le grand fauteuil qui l'attend pour cette visioconférence, derrière une table nue. 
L'ancienne journaliste à la Radio Télévision des Mille Collines a été condamnée à perpétuité par une tribunal Gacaca en 2009.
De trois quart face et en contre-plongée, elle jure avec une voix ferme, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Et son témoignage est accablant pour l'accusé.
Elle connait Pascal Simbikangwa, confirme sa réputation de tortionnaire et affirme "il était au service de la présidence". Valérie Bemeriki atteste également avoir vu dans des documents "qu'elle a eu sous les yeux" que le Comité national Interahamwe, dont elle a été la secrétaire entre 1990 et 1993, avait chargé l'ancien capitaine d' "arranger les entraînements militaires des MRND".

L'idéologie de Pascal Simbikangwa ? Valérie Bemeriki la décrit avec ces mots : " il était d'un extrême extrémisme contre les Tutsi".
 La cour mesure alors le poids de la parole de l'ex-journaliste vedette de la RTLM.

Mais, pour l'accusé, il y a pire encore : Valérie Bemeriki a vu Pascal Simbikangwa pendant le génocide. 

 D'abord le 07 avril 1994 au matin, depuis le balcon extérieur de la radio, donnant des instructions au directeur de la RTLM. Il les les lui rapporte : "l'attentat contre le président a été fait par le FPR et les Tutsi de l'intérieur, il faut les débusquer".
Puis, elle explique qu'il y est revenu, tous les deux jours, environ.

 Enfin, après le 17 avril dans le quartier de Gitega, avec des miliciens devant une barrière, sur la route de la justice : "On voyait très bien qu'il donnait des ordres à ses types et leur avait donné un carton de munitions".
Pascal Simbikangwa les identifie tout de suite, elle et son collègue. Il les salue fraternellement et les félicite : " Vous les journalistes, vous avez bien travaillé, continuez !"
Les miliciens avec lesquels les journalistes s'entretiennent brièvement s'enthousiasment : "Simbikangwa c'est un brâve, il nous donne tout ce dont nous avons besoin,  !".

Avant d'être interrogée par les différentes parties, Valérie Bemeriki souhaite poser une question. Elle va alors stupéfier l'audience :  

 "Pour avoir témoigné, est -ce j'ai droit à une indemnité ?"




"Salutations à Simbikangwa !"


Après l'audition le matin de Théoneste Marijoje, Me Simon Foreman (CPCR) a requis auprès du président  Olivier Leurent la présence d'interprètes, même lorsque les témoins sont francophones.

Les difficultés de retransmission la légitime absolument cet après-midi : Valérie Bemeriki entend en effet très mal les questions qui lui sont posées.

L'avocat général Me Bruno Sturlese complique encore la tache par des phrases beaucoup trop longues, et finit par abdiquer.

Me Fabrice Epstein ne fait pas mieux. Offensif et insistant comme à l'accoutumée, son ton se perd dans l'écho perceptible jusqu'à Paris.

Il insiste pourtant, et tente de piéger le témoin  : sur les actionnaires de la RTLM, la distance entre le balcon de la radio et la voiture de l'accusé le 7 avril, la voiture elle-même, sa plaque d'immatriculation...Valérie Bemeriki a réponse à tout. Elle est claire et précise.

Me Alexandra Bourgeot change alors de stratégie. Elle prend Valérie Bemeriki au mot : "témoigner, pour vous, c'est devenu une véritable activité !?" .
L'ancienne journaliste n'en a pas fait mystère, elle est très sollicitée, à Arusha et en prison. Elle espère bien une remise de peine mais témoigne d'abord "pour la reconstruction de m[s]on pays et la réconciliation". 

Puis Me Bourgeot à son tour,  trébuche sur la date de la confrontation à la barrière, le 17 avril, que l'ex-journaliste a dit avoir prise comme repère : La RTLM vient d'être bombardée et Valérie Bemeriki, au poste jour et nuit depuis la nuit du 6, lâche l'antenne ce jour là.
L'avocat de la défense confronte Valérie Bemeriki à ses précédentes déclarations et s'étonne que le temps lui fournisse de plus en plus de détails.
La réponse de l'ex-journaliste raisonne comme une victoire pour l'avocat,  : "Tout est possible."
Elle clot l'entretien et retourne s'asseoir.

Mais Valérie Bemeriki n'a pas tout à fait terminé. Elle va littéralement figer l'accusé et ses avocats en concluant : "Salutations à Simbikangwa !"





"Les idées de Bagosora"

L'accusé conteste, invoque "les émoluments" réclamés par Valérie Bemeriki à l'audience pour discréditer l'intégralité de son témoignage. Il réfute tout : milices, dates, présence à une quelconque barrière, l'usage de sa voiture habituelle, avoir tant circulé durant le génocide.

 L'ancien technicien de la RTLM, Georges Ruggiu, inquiet pour sa sécurité, n'a finalement pas souhaité venir témoigner. Il est donc fait lecture par le président de ses précédentes dépositions, à charge pour Pascal Simbikangwa.
Elles y dénoncent un "membre de l'Akazu" qui "partageait les idées de Bagosora", dont les écrits "étaient trop extrémistes - c'était de la folie !".
Elles attestent en outre  avoir vu Pascal Simbikangwa pendant le mois d'avril 1994 sur un marché de Kigali recueillir des informations et donner  des ordres à des Interahamwe.
 Enfin, elles interrogent : "Comment se fait-il qu'un type comme lui, en fauteuil, circulait partout pendant le génocide, avec toutes les barrières puis les bombardements;  et ne soit pas resté enfermé chez lui, au calme ?".


 Me Epstein tente alors de discréditer la parole de Georges Ruggiu en lisant de très longs extraits du livre de Thierry Cuvellier "le Tribunal des vaincus". Le détail de la défense de l'accusé à Arusha y est décrit sans complaisance.
Mais qui entrerait dans la salle à ce moment, pourrait volontiers croire que c'est le portrait du capitaine dans le box de la cour d'assises de Paris qui est dressé; avant de penser qu'il s'agit du procès de l'ancienne procureure du TPIR Carla del Ponte.

Interrogé à son tour sur les déclarations de Georges Ruggiu, Pascal Simbikangwa les déconsidèrent au motif que l'ancien technicien a refusé de venir témoigner à la barre.





lundi 17 février 2014

Procès de Pascal Simbikangwa, jour 11. Chronique d'une journée particulière

 
Troisième semaine du procès de l'ancien officier rwandais Pascal Simbikangwa pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l'humanité au palais de justice de Paris. Le premier rwandais jugé en France pour ces faits risque la perpétuité. 


Chronique d'une journée particulière


"Un agent ordinaire"

L'image est saisissante : sur les écrans de la salle d'audience apparait le visage d'un génocidaire, sur un arrière-plan de drapeaux de l'ONU. Il est 9h30 et cette 3ème semaine de procès s'ouvre sur ce paradoxe. Le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva, condamné pour génocide par le TPIR s'exprime en visioconférence, en toute liberté, depuis Arusha, en Tanzanie, grâce aux moyens techniques fournis...par le TPIR.

Condamné en première instance en 2008 à perpétuité, sa peine a été commuée à 15 ans de prison en 2011. Anatole Nsengiyumva a alors été remis en liberté en tenant compte du temps passé en détention préventive, mais aucun pays n'a jusqu'à présent souhaiter l'accueillir.

Il est auditionné  pour ses fonctions d'ancien responsable du Bureau G2 (Service de Renseignement Militaire) jusqu’en Juin 1993, où Pascal Simbikangwa a passé quatre mois.

Le lieutenant-colonel dédouane complètement l'accusé, "un agent ordinaire" au profil assez médiocre, au rôle subalterne. Il avait néanmoins entendu son nom associé à celui de tortures, "mais cela n'a jamais été confirmé". Au reste, il affirme ne l'avoir pratiquement jamais rencontré. 

Pourtant, c'est sous sa direction que le "petit agent" insignifiant Pascal Simbikangwa a obtenu le privilège d'une sécurité particulière avec deux gardes du corps.

Mais pour le statut singulier de l'accusé comme pour tout le reste des questions posées par les avocats des parties civiles, Me Emmanuel Daoud, avocat de la LDH et FIDH et Me Simon Foreman, avocat du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, rien à faire.  L'Akazu, la formation des miliciens Interahamwe, des listes de Tutsi à éliminer; Anatole Nsengiyumva ne sait rien, n'a rien vu ou rien entendu.
Même pas la Radio Télévision des Mille Collines, ou si peu qu' il n'y aurait investi son argent que modestement.

Exactement la même ligne que Pascal Simbikangwa. Si exactement que l' audition suivante sera radicalement contradictoire.




"Une réputation redoutable"

Johan Swinnen, ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 à 1994, témoigne donc lui aussi en visioconférence, mais depuis Bruxelles.

Il explique avoir connu Pascal Simbikangwa indirectement.

D'abord pour sa "réputation redoutable" de tortionnaire  dénoncée par des journalistes d'opposition venus lui en attester, cicatrices encore visibles. Johan Swinnen tente alors d'intercéder « avec l’ambassadeur américain, nous avons alors multiplié les démarches auprès de la présidence rwandaise pour que Pascal Simbikangwa soit écarté, en vain".
 
Ensuite pour sa désignation comme co-responsable des massacres de Tutsi en1992 dans le Bugesera.

Enfin, via l' ancien gouverneur de la Banque Nationale du Rwanda qui lui avait fourni une liste de potentiels génocidaires parmi lesquels figurait le nom de Pascal Simbikangwa.

Il est alors temps d'entendre Augustin Iyamurene (membre du PSD, parti d’opposition au régime) et chef du Service de Renseignement intérieur (SRI) à partir de Mai 1992;  autrement dit, le supérieur hierarchique de Pascal Simbikangwa.




"Un fanatique d'Habyarimana"

Augustin Iyamurene en a l'intuition "c'était bizarre, on ne comprenait pas son rôle../..il était militaire mais affecté à notre service qui était civil", puis tout de suite la certitude "j'avais eu des informations qui disaient qu'il n'était pas qu'un petit chef de division, qu'il avait des liens avec un réseau parallèle".

A la barre, l'ancien chef du Service  du renseignement intérieur confirme ce qu'il a déjà dit pour d'autres procès au TPIR, "Pascal Simbikangwa se dévouait à détruire les journaux d'opposition". La réputation de l'accusé, ses privilèges, ses allées et venues - "il outrepassait ses attributions"-, tout dérange Augustin Iyamurene.
Il insiste : "on a cherché tous les moyens légaux pour le faire muter, on n'a pas pu". Augustin Iyamurene est formel, c'est la proximité de l'accusé  avec la présidence du régime qui explique cette invulnérabilité : "il était du CDR, un parti d'extrême-droite; pour Pascal Simbikangwa, Habyarimana était le Bon Dieu, il en était fanatique ! "

La défense de l'accusé s'étonne alors qu' Augustin Iyamurene se fasse plus précis qu'il ne l'a jamais été lors des ces précédentes auditions ou dépositions, et beaucoup plus évasif  sur l'examen des photos (récentes) et des plans supposés des lieux dans lesquels l'accusé avait son bureau. 

Me Fabrice Epstein est offensif, à la limite de l'intimidation même, lorsqu'il s'approche à moins d'un mètre de la barre, les yeux rivés sur l'ancien chef du SRI. Déstabilisé, Augustin Iyamurene ne finit plus ses phrases. 
L'avocat de la défense ne saurait s'en contenter. Il insiste. Mais à mesure qu'il répète encore et encore les mêmes questions, son assurance s'affaiblit et il finit par paraître manquer de clairvoyance lorsqu'il bafouille, dans un moment suspendu, comme pour lui même, "visiblement, je suis le seul à ne pas comprendre..".

Interrogé à son tour, Pascal Simbikangwa répète ce qu'il dit depuis quinze jours : il est victime d'une manipulation du Front Patriotique Rwandais (FPR) qui cherche à tout prix des coupables alors qu' "ils ont tous été déjà jugé". Il s'indigne même, "Augustin Iyamurene m'a empêché de travailler à l'époque, j'étais sous-employé, et maintenant il vient mentir".

Avant de conclure "tout ça, c'est de la comédie".




mercredi 12 février 2014

Procès de Pascal Simbikangwa, jour 7, un témoin pour la défense

Deuxième semaine du procès de l'ancien officier rwandais Pascal Simbikangwa pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l'humanité au palais de justice de Paris. Le premier rwandais jugé en France pour ces faits risque la perpétuité.



"En mission"

Avec assurance et détermination, arrive à la barre le colonel à la retraite Micel Robardey, en poste au Rwanda de septembre 1990 à septembre 1993.
Crâne rasé, front haut et posture altière, le colonel entame son témoignage paradoxalement en s'excusant presque d'être venu : " je ne voulais pas, je n'ai jamais rencontré Pascal Simbikangwa".
Mais la rectitude de l'ancien gendarme a pris le dessus, c'est "le devoir" qui confesse-t-il l'a obligé à venir, pour éclairer la cour des observations qu'il a faites sur le terrain. "C'est plutôt le dossier qui vous a rattrapé" commente l'avocat général Me Bruno Sturlese.
Le colonel vient donc témoigner à la demande de la défense, en faveur de l'accusé.


"J'étais en mission  pour assister en police judiciaire le Rwanda sous uniforme rwandais" confirme-t-il conformément à l'accord d'assistance militaire avec la France. "Conseiller technique à l'Etat major" lui fera repréciser le président.
Tout de suite, il constate une désorganisation des services. Il déplore d'abord  deux systèmes : la criminologie et la gendarmerie qui doivent rendre compte au Procureur de la République et le service central de renseignement. Celui-ci était "tout puissant" : il pouvait arrêter, interroger et emprisonner qui il souhaitait et ne rendait compte qu'à la présidence.
C'est là qu'il rencontre le nom de Pascal Simbikangwa : "on entendait partout la rumeur du capitaine à roulettes (l'accusé est dans un fauteuil roulant depuis un accident en 1986) qui soi-disant torturait les opposants ».



Des rumeurs

 "Immédiatement", le colonel diligente 3 enquêtes : sur les rumeurs autour de Pascal Simbikangwa, sur les attentats présumés, et sur les massacres attribués aux Tutsi Front Patriotique Rwandais (FPR).
Contre toute attente assure-t-il, "on accepte mes enquêtes et j'ai  l'indépendance et tous les moyens nécessaires pour travailler au Rwanda en toute liberté".

Ses conclusions sont limpides : toutes les accusations sur Pascal Simbikangwa sont un montage politique du FPR, lequel est responsable de tous les attentats au Rwanda et des massacres des élites Hutu.

C'est, parfois au mot près, exactement la ligne de défense de l'accusé depuis une semaine.  L'accusé sourit même lorsque le colonel ajoute "j'observe que Pascal Simbikangwa n'a pas torturé en 1992". Les avocats de l'accusé ne cachent pas leur satisfaction quand le colonel lance "les parties civiles mentent".
Michel Robardey, lui, droit dans ses bottes, n'a rien à se reprocher. Il confesse malgré tout avoir eu du mal à "redresser des types tordus, déformés", mais, finalement, il n'a souvent travaillé  qu'"avec des types remarquables" et n'a nommé  que "des types remarquables". 



"Effet d'annonce publicitaire"

Le président donne alors la parole aux parties civiles.
Me Simon Foreman demande à Michel Robardey un peu plus de précision sur ses enquêtes, et notamment sur celle autour de l'accusé.  Le colonel répond, intraitable : "sur la base d'un seul interrogatoire d'un homme qui l'accusait, et qui a menti. On ne ment pas une fois : ou vous mentez ou vous ne mentez pas".

Me Foreman décide de prendre au mot Michel Robardey et lui rappelle qu'il a envoyé une note en février 1993 à François Mitterrand, au pape Jean-Paul II et à plusieurs chancelleries et officines d'états européens intitulée "Dénonciation du génocide fait par le FPR".

"Oui, c'était un effet d'annonce publicitaire". L'emploi du mot génocide pour le colonel est à géométrie variable : "cela dépend de la définition qu'on donne à ce mot qui est différente selon les pays, j'imagine que le TPIR n' a pas la même que la Cour...".
Michel Robardey se justifie : " ils massacraient les villageois en rafale../.. pour moi l'expression 'khmers noirs' me paraissait totalement justifiée. "

Pourtant, jusqu'à la la veille encore, les historiens et journalistes ont devant la cour rappelé qu'il n'y a bien eu qu'un seul génocide au Rwanda, celui des Tutsi et Hutu modérés, et que quiconque avance la thèse d'un double génocide est coupable de révisionnisme et de négationnisme.

Mais, le colonel le rappelle "Nous sommes en guerre". Il y a bien eu certes "quelques Tutsi molestés", et des militaires français aux barrières filtrantes en 1993 ("seulement une semaine")...
Et les massacres de Tutsi au Bugesera en 1992, préfiguration du génocide ? Michel Robardey a enquêté auprès de jeunes responsables Hutu "enivrés et drogués au chanvre indien" qui avaient en main ce que "tout Rwandais avait dans sa cave" (l'habitat rwandais d'alors n'a très majoritairement pourtant pas de cave) : "des casses-têtes et des machettes et des gourdins". Ce n'était, selon le colonel, qu'une réponse spontanée aux attentats.



"la question qui tue"

Me Bruno Sturlese, l'avocat général rappelle que les accusations  du ministère public ne sauraient être fondées sur des rumeurs et demande au témoin plus de clarté : "Quand vous parlez de génocide, vous parlez bien du génocide des Tutsi ?"

Michel Robardey s'esclaffe :  "c'est la question qui tue !" Rumeurs de désapprobation de l'assistance, puis poursuit :
"Y-a-t-il eu un génocide, deux génocides, est-ce qu'on doit dire génocide rwandais... ?"
Ce qu'il veut dire haut et clair en revanche c'est " qu'il y a eu un génocide, dès que la France est partie."

Ni l'avocat général ni les avocats des parties civiles ne souhaiteront continuer à interroger le colonel qui quitte la salle le regard droit. Michel Robardey, faut-il le rappeler, fut avec d’autres militaires français accusé en 2008 par Kigali d’avoir participé au génocide.

Un peu plus tôt dans l'après-midi, le journaliste suisse Jean-Philippe Ceppi, présent à Kigali en avril 1994, avait quant à lui rappelé les scènes dont il avait été témoin, et qui l'avaient conduites à immédiatement dénoncer un "génocide" perpétré sur des Tutsi et Hutu modérés.


mercredi 5 février 2014

Procès Pascal Simbikangwa : 2ème jour d'audience



"Scandaleux !"

"Scandaleux !" s'indigne doigt levé Me Alexandra Bourgeot dans la salle n°3 de la cour d'assises du Palais de justice de Paris, à l'adresse du président Olivier Leurent.
C'est que les questions posées par celui-ci à son client, Pascal Simbikangwa, jugé ici rappelons-le pour « complicité de génocide »,  sont embarrassantes. Elles portent sur des accusations de torture, de participation présumée aux  escadrons de la mort au Rwanda au début des années 90 (quatre ans avant le génocide). 

Or, les faits ont beau être prescrits, raison de l'emportement de l'un des deux avocats de la défense, ils n'en demeurent pas moins des éléments indicateurs des fonctions et attributions occupées par l'intéressé. Son parcours professionnel, voilà l'objet exact de cette deuxième journée du premier procès sur le sol français, d'un génocidaire supposé du génocide des Tutsis et Hutus modérés du Rwanda de 1994.

L'accusé, cloué sur sa chaise roulante depuis un accident de voiture en 1986, semble croire l'incident profitable et joue sa partition en déroulant par le menu une version chronologique des faits qui l'exonère de toute responsabilité : tout cela n'est que le fruit d'une machination orchestrée par le FPR (Front Patriotique Rwandais, qui a mis fin au génocide) qui a fabriqué des faux, organisé une propagande éhontée dont les organisations droits de l'hommistes d'alors, et même la cour d'aujourd'hui sont les dupes; et lui, Simbikangwa, la victime.


"L'autre Pascal"

Car, à l'écouter, il n'a rien fait. C'était un "autre Pascal", du "même grade" qui procédait aux interrogatoires (en fauteuil ?).  Lui, non. D'ailleurs, la veille il n'était même plus très sûr de son nom, stupéfiant la cour ("j'ai  plusieurs identités", avait-il fini par confesser).
Aujourd'hui, il assure qu'il n'était pas non plus " le numéro 3 du service central de renseignement", mais un simple agent : "on m'appelait directeur mais je n'avais pas de fonctions, je n'avais pas de pouvoir de décision". 

Un agent qui s'est occupé un temps de la surveillance de la presse et de "traiter les journalistes" ("traité ou mal-traité ?" osera  l'avocat général) mais qui ne lisait pas les journaux, "il y en avait trop, vous comprenez". Il rapportait à ses supérieurs, et puis d'ailleurs ensuite, ça n'a pas duré, il s'est retrouvé au chômage, mais curieusement toujours rétribué par le même service. 

Il requiert alors la sollicitude de la cour : sans emploi, il était aux abois financièrement...ce qui ne l'empêcha pas d'investir dans la création d'un journal..."qui ne coûtait presque rien", mesure-t-il. Il en a eu certes l'idée; puis "non, ce n'est pas moi qui avait eu l'idée" , l'a  co-fondé, mais n'y est resté "qu'un mois et demi ou 2 mois", juste avant que celui-ci ne devienne illisible parce que propagandiste. Ce qu'il date au "10ème numéro", même si, soudain imprécis, il situe la sortie du n°1 après le numéro 8 brandi par l'avocat général... . Puis, finalement, il redevient sûr de lui : c'est bien simple, celui de la Cour est un faux.

Sa participation financière à la création de la Radio Télévision des Mille Collines (la radio du génocide) à même échelle que celles de caciques militaires, politiques et économiques du régime comme par exemple Théoneste Bagosora (considéré comme l'un des principaux responsables du génocide et condamné comme tel par le TPIR) et le président Habyarimana lui-même, est "un hasard".
Au reste, elle n'avait que 3 motifs : "l'argent", "la culture" et la démocratie ( "je suis démocrate, et libre, je voulais favoriser la pluralité des opinions").
Ensuite, il n'a jamais rencontré le conseil d'administration dont il concède avoir connu tous les membres, et n'a jamais écouté la radio RTLM.
Pourtant, il affirme qu'elle a changé de discours à partir "du 7 avril 1994", même si "elle s'est arrêtée le 6 avril 1994"... "ah non, je crois que c'était le 17 avril, lors du bombardement de Kigali."

Les 10 commandements des Bahutu (appels aux meurtres des Tutsis) publiés dans le journal Kangura en 1990 alors qu'il était en charge de la presse ? Non, "j'en ai pris connaissance en 1993../..mais je ne pouvais rien faire..".sans doute,  souvenons-nous, parce que " démocrate, et libre, [il] je voulais [t] favoriser la pluralité des opinions".

Tour à tour d'une précision extrême, lorsqu'il est question des fonctions de tel ou tel, Pascal Simbikangwa sait parfaitement se monter extrêmement vague dès lors que lui sont posées des questions très précises sur ses responsabilités. L'homme digresse, élude ou répond par des questions directes au président ou aux avocats des parties civiles, au point qu'il sera rappelé à l'ordre plusieurs fois. Même ses propres aveux sont sujets à caution puisqu'il réfute les dires de son interrogatoire lors de sa garde à vue à Mayotte.



"Et maintenant, c'est moi !"

C'est que, entre deux obséquieux "excusez-moi" à la cour, trop loin du micro, étouffés dans un blouson qui semble trop grand pour lui,  l'accusé perd parfois pied "je ne vais pas répéter les mêmes choses mille fois, j'ai la tête qui chauffe Mr le président, je suis fatigué"; mais surtout le contrôle de lui-même...

Alors Pascal Simbikangwa retrouve sans doute ses allures de capitaine spécialiste du renseignement : dans un lapsus, ses avocats deviennent ses "conseillers", les preuves et conclusions du TPIR des faux, les avocats de la défense des naïfs, l'avocat général un mauvais professionnel qui le "défend mal"; le président un homme partial, la cour...une antichambre du Kigali d'aujourd'hui...où "tout le monde doit être coupable, il y a eu 2 millions de coupables, tous jugés...et maintenant c'est moi."

Les yeux baissés et inexpressifs "s'exorbitent" à mesure que l'accusé s'agite...aux alentours de 19h, à un moment, alors que l'audience touche à sa fin et que l'avocat général l'accule;  un moment seulement, il s'oublie et invective la cour : "vous me jugez parce que je suis dans le camps des vaincus !!!"
Parfaite illustration du portrait de sa personnalité dressé en début d'après midi un peu plus d'une heure durant par Julie Landry: un homme combatif, sûr de ses racines, qui fait front dans l'adversité.

A ces mots,  c'est l'avocat général Me Bruno Sturlese cette fois, qui se scandalise : " je ne vous laisserai pas dire ça, toutes les pièces du dossiers sont ici examinées, contre-expertisées, authentifiées !"
Cette idée de justice-là ne lui parle pas; pas plus qu'il n'entend ni ne reconnait l'abomination de son idéologie ou des actes reprochés, car, il l'a clamé haut et fort, la défaite de son camp, c'est sûr, Pascal Simbikangwa ne l'admettra jamais.